Dernière mise à jour 24 septembre 2022 01:47
2548 milliards de FCFA dépensés depuis 2013 ; peu de résultats au rendez-vous
Une semaine après l’attaque du poste avancé des forces armées maliennes (FAMa) à Indelimane qui a fait au moins 55 morts en novembre 2019, une colonne de véhicules quitte discrètement la petite garnison d’Andéranboukane pour Ménaka, ville plus sûre où la MINUSMA et Barkhane ont une forte présence. Les FAMa venaient d’effectuer leur premier repli notable depuis la grande débandade de 2012, qui les avait vu quitter toutes les régions du nord et de l’est du pays.
La zone des 3 frontières que les FAMa venaient d’abandonner était sous le feu de l’EIGS (État Islamique dans le Grand Sahara). Une série d’attaques commencée quelques mois plus tôt n’avait d’autres objectifs que faire partir les 3 armées (Mali, Niger et Burkina Faso) de sa zone d’influence en 2019 :
• Le 14 mai, 28 militaires nigériens sont tués dans une embuscade à Baley Béri
• Le 19 août, 24 militaires burkinabés sont tués à Koutougou
• Le 1er novembre, attaque du camp d’Indélimane ; 55 militaires maliens tués
• Le 10 décembre, 71 militaires nigériens sont tués à Inatès
• Le 24 décembre, 7 militaires burkinabés (et 35 civils) sont tués à Arbinda
• Le 9 janvier 2020, 89 militaires Nigériens sont tués à Chinégodar

Les FAMa ne reviendront à Andéranboukane qu’en février 2021, avec l’appui de la force Barkhane. Leur installation définitive n’est d’ailleurs pas totalement achevée.
Depuis 2013, l’armée malienne est en reconstruction – le terme officiellement utilisé est « montée en puissance. » Une loi de programmation militaire couvrant la période 2015-2019 avait été annoncée comme la clé de cette montée en puissance – 1230 milliards de FCFA devraient être dépensés pour rééquiper l’armée et parachever sa remise à niveau. Il est clair que cette montée en puissance n’est pas encore effective et avec l’annonce du départ de la force Barkhane, une nouvelle analyse s’impose.
Barkhane s’en va
Annoncé par le président Emmanuel Macron le 10 juin dernier, le désengagement futur de la force Barkhane contraindra le Mali à réévaluer la mission de ses forces armées.

Le but principal de Barkhane est de lutter contre les groupes terroristes en réduisant leur marge de manœuvre, démanteler leurs caches d’armes, couper leur flux logistique, et empêcher la reconstitution de sanctuaires. La force Barkhane est déployée sur 5 bases avancées et sa base permanente de Gao. Sa mission coûte entre 520 et 650 milliards de FCFA par an, sans compter l’appui donné par d’autres forces étrangères comme les États-Unis ou le Royaume Uni.
A terme, le Mali devra relever le défi de remplacer le dispositif Barkhane et la sécurité relative qu’elle donne aux populations du Nord, ainsi qu’aux militaires maliens. Lisez plutôt ce récit.
Le 15 mars 2021 vers 13h, la relève du poste de Téssit tombe dans une embuscade. Bilan côté FAMa : 33 morts et 14 blessés ; 3 véhicules détruits. Le lendemain, 16 mars, deux convois FAMa, sont escortés sans embuche par deux hélicoptères Tigre de la Force Barkhane jusqu’ à Téssit. Un aéronef de la force Barkhane repère des terroristes circulant à moto. Un drone Reaper, une patrouille de Mirage 2000 et les hélicoptères Tigre engagent le groupe. Bilan 20 terroristes tués.
Il va sans dire que l’appui aérien de Barkhane et le renseignement fourni par ses drones est important dans la lutte contre les groupes terroristes.
Forces armées et de sécurité
Les forces armées maliennes sont constituées de 4 corps différents – l’armée, la garde nationale, la gendarmerie et la police. Leur budget (salaires, équipements, missions, achats, etc.) constitue le coût de défense et sécurité.
L’armée est composée de l’armée de terre et l’armée de l’air. Le rôle assigné de l’armée de terre est de préserver l’intégrité du territoire national et défendre le pays contre les agressions extérieures ; elle participe également à la sûreté publique en assistance aux forces de maintien de l’ordre. L’intégrité de l’espace aérien est assurée par l’armée de l’air ; elle contribue avec les autres forces à la défense du territoire ; elle apporte également son assistance aux missions humanitaires et participe à la recherche et au sauvetage d’aéronefs en détresse. L’armée dépend directement du ministère de la défense.
La garde nationale et la gendarmerie sont deux corps qui dépendent à la fois du ministère de la défense et celui de la sécurité. Le rôle de la garde nationale est d’assurer la sécurité des institutions de la république et celle des autorités politiques et administratives, de concourir au maintien de l’ordre et à la sureté publique, et d’assurer la surveillance des frontières. La garde nationale apporte également son concours pour la défense du pays quand elle est sollicitée. La gendarmerie est un corps militaire qui assure un rôle de police administrative et judiciaire (civile et militaire) ; ses attributs consistent aussi à veiller à la sûreté publique et au maintien de l’ordre.
La police nationale a un rôle purement sécuritaire ; elle assure le maintien de l’ordre et apporte son concours à l’application des lois et règlements. Elle a également un rôle de renseignement et participe à la sécurisation des frontières aériennes et terrestres. Elle dépend entièrement du ministère de la sécurité.
Les forces armées disposent également de services de renseignement, auxquels il faut ajouter la Direction Générale de la Sécurité d’État, qui dépend directement du pouvoir politique, mais qui, à quelques exceptions près, a toujours été dirigée par un officier supérieur ou officier général des forces armées.
Budget des forces armées
En 2021, les budgets des ministères de la défense et de la sécurité s’élèvent respectivement à 310,9 et 107,2 milliards de FCFA, un total de 431,4 milliards représentant 15,4% du budget national. Le budget défense et sécurité a connu un accroissement rapide depuis 2013 et surtout après l’adoption de la loi de programmation militaire en 2015.


Le budget défense et sécurité passe de 108 à 459 milliards entre 2013 et 2020, soit 325% d’accroissement. Depuis 2013, un total de 2548 milliards a été dépensé ; l’insécurité est toujours rampante et l’administration est encore largement absente du centre jusqu’à l’est et au nord du pays.
Pourtant, du matériel a été acquis – avions d’appui au sol, hélicoptères de combat, avions de transport, véhicules blindés, etc. ; en 2013, 62% du budget était consacré aux salaires ; ce ratio passe à 46% en 2021, une nette amélioration vers les normes des grandes armées, laissant beaucoup de ressources pour le rééquipement et les infrastructures. Les Maliens aspirent à la paix ; et ces 2548 milliards représentent une somme colossale pour un pays en développement. A titre de comparaison cet argent peut permettre l’installation de 5000 MW de puissance d’énergie solaire – soit 7 fois la puissance électrique disponible au Mali ; résoudre le déficit énergétique du Mali jusqu’en 2035 ; du courant à volonté pour tous les Maliens. C’est aussi 10.000 nouveaux kilomètres d’autoroutes pour un pays qui a à peine 7000 kilomètres de routes bitumées. La somme est colossale.
Doit-on alors dépenser encore plus (et plus longtemps) pour arriver à cette paix ?
Pour pacifier la zone des 3 frontières, le G5 Sahel et la France ont fait appel au Tchad pour parer à l’inefficacité des militaires maliens, nigériens et burkinabés ; 1200 soldats Tchadiens furent déployés en février 2021. Le Tchad est de fait devenu le grand gendarme du Sahel, à qui on fait appel quand il y a danger.
Que dépense le Tchad pour sa sécurité ?
On pourrait alors imaginer que le Tchad dépense des sommes colossales pour son armée. Il n’en est rien. De 2013 à nos jours, le budget moyen de défense et sécurité du Tchad a été d’environ 171 milliards de FCFA. Pour 2021, il s’agit de 186 milliards de FCFA contre 431 milliards pour le Mali. La part de la défense dans le budget national est similaire à celui du Mali – dans la fourchette 15-16%.
De 2016 à nos jours, le Mali a dépensé chaque année plus du double des dépenses Tchadiennes. Le Tchad et le Mali ont pourtant tous deux une immense zone désertique et des superficies similaires – 1.284.000 km2 pour le Tchad contre 1.240.000 km2 pour le Mali.

Le constat est similaire quand on compare les moyens respectifs des 2 pays – en termes de budget national. En 2021, le budget malien s’élève à 2808 milliards de FCFA contre 1247 milliards pour le Tchad. L’État malien a simplement plus de moyen que le Tchad.

Alors pourquoi le Mali qui a plus de moyens et dépense beaucoup plus en défense aurait besoin de l’aide de militaires tchadiens pour s’offrir un minimum de sécurité ? En fait, de tous les états du G5 Sahel, le Tchad et la Mauritanie qui semblent être les plus habiles à défendre leur pays, ont paradoxalement les budgets nationaux les plus bas

Comment expliquer ce paradoxe ? L’argent n’arrive pas à la bonne destination ? Au Mali, un audit de la gestion des fonds de l’armée est toujours en attente. Il y a plusieurs allégations de matériels payés et non-livrés, ou non-conformes au cahier de charge. Le vol de l’argent public ne se limite pas seulement aux achats ; une enquête diligentée par Le Sphinx en mai 2020 (numéros 781, 782 et 785) a révélé que même le salaire des militaires est siphonné – au moins 44 milliards sur la période couvrant 2017 à 2020 !
Doit-on donner raison à Hinda Deby Itno, ex-première dame du Tchad dans son poème « Soldats du Tchad »
[…]
Là où l’armée française hésita
L’armée Tchadienne s’y engagea
Là où l’armée malienne recula
L’armée Tchadienne avança
[…]
Les Bambaras retiendront un non : Tchadien
Les Songhoïs chanteront pour le Tchadien
Les Mandingues se souviendront du Tchadien
Les Touareg s’inclineront devant son passage
La CEDEAO deviendra humble devant le Tchad
Les Ouest-Africain liront nos leçons de guerre
Car le soldat Tchadien n’est pas un bidasse de salon
[…]
Le Mali a-t-il seulement des bidasses de salon ? Des bidasses préférant le climatiseur et les salons feutrés à la sueur et au sable du Sahara ? C’est ce que Mme Déby semble dire.
Les forces armées maliennes traversent une crise de leadership. Des officiers qui passent du grade de lieutenant à celui de colonel en 7 petites années, grades attribués par complaisance ou favoritisme, sont incapables de diriger une armée convenablement. Ils n’ont simplement pas l’expérience requise. On se souviendra qu’en 2012, le capitaine Sanogo, alors simple chauffeur de BRDM, fut mis à la tête d’une commission de réforme de l’armée. Que pouvait-on espérer de ça ? Reformer l’armée ne peut pas être le seul travail des militaires ; le Mali doit s’inspirer de ce qui s’est passé ailleurs.
L’indulgence des Maliens
Malgré les innombrables failles, une incapacité à défendre l’intégrité du territoire et assurer la défense des populations, les FAMa représentent de loin l’institution la plus respectée par le public malien. Les militaires sur le terrain engagent leur vie tous les jours. Une enquête d’opinion publiée en 2020 par Friedrich-Ebert-Stiftung révèle que 92% des Maliens se disent « très satisfaits » or « plutôt satisfaits » de ses actions. Ces chiffres sont quasi-constants d’une région à une autre, à l’exception de Kidal, où le niveau de satisfaction n’est que de 5%.

Paradoxalement, Barkhane, qui a pourtant plus de succès sur le terrain, n’est l’objet d’aucune mansuétude. Alors que même les rares victoires de l’armée malienne sont résultantes d’actions conjointes menées avec les troupes françaises. Quasiment 4 maliens sur 5 ne sont pas satisfaits des troupes françaises. A Kidal, c’est 96% d’insatisfaction. Le sondage remonte à 2020, mais il est difficile de penser que la situation se soit améliorée depuis. « François Hollande, le Malien » n’est qu’un lointain souvenir.

Les leçons de Farabougou
Farabougou est un village de la région de Ségou à 90 km de route au Nord/Nord-Ouest de Niono. Le 6 octobre 2020, des combattants de la Katiba Macina du JNIM (groupe de soutien à l’islam et aux musulmans de Iyad Ag Ghaly) y arrivent lors de la foire hebdomadaire. Ils prennent des otages et bloquent tous les accès au village. L’armée envoie un détachement de forces spéciales pour protéger le village ; sans réel effet. Le village reste assiégé, malgré la présence militaire. Le 14 mars dernier, après un siège de 5 mois, les villageois acceptent un accord de reddition ; les combattants de la Katiba Macina pourront s’y rendre en arme, la milice locale sera désarmée, et les femmes du village devront se voiler.
Si l’accord de Farabougou n’a pas été directement négocié par l’état malien, ses clauses ont été acceptées en haut lieu. Plusieurs localités des régions de Mopti et Tombouctou sont d’ailleurs sous de pareils accords ; Dinangourou, dans la région de Mopti, tout près de la frontière du Burkina Faso vit depuis le 2 mai dernier, un siège pareil à celui de Farabougou.
Alors, si le pays s’achemine vers un modèle « Farabougou », pourquoi continuer à dépenser l’argent du contribuable pour que les FAMa croisent le bras quand les populations sont sous contrainte ? Ne faut-il pas limiter cette saignée financière, si le but est de négocier avec les terroristes ? Ne faut-il pas redéfinir le rôle des FAMa si sécurité et la protection des populations est devenue un objectif secondaire ?
Les militaires au pouvoir
Les militaires ont pris le pouvoir en Août 2020. Le bataillon de forces spéciales anti-terroriste qui était basé au centre du Mali pour répondre aux attaques des groupes armés terroristes a été déployé à Bamako afin de mettre son chef au pouvoir. Les forces armées contrôlent désormais tous les leviers du pouvoir ; les ministères régaliens, les finances publiques, l’organe législatif de la transition. Le gouvernement mis en place par les militaires le 11 Juin dernier appelle déjà à un « renforcement qualitatif et quantitatif des forces de défense et de sécurité, ainsi qu’à l’optimisation des moyens opérationnels pour un maillage cohérent et dissuasif. » En somme, ils veulent dépenser encore plus d’argent sans une explication claire de l’objectif à atteindre. Aucun arbitrage possible ; ils décideront, approuveront et dépenseront. Nous sommes très loin de l’idéal républicain.
Exigence citoyenne
On peut débattre des causes de la rébellion qui a abouti à la partition du pays en 2012. Mais il est clair que l’absence de développement en est une. Cela n’est pas seulement une affaire du nord et de l’est du Mali ; le centre, le sud et l’ouest sont aussi concernés par le défaut d’infrastructure de base.
2548 milliards savamment dépensés auraient amené l’eau, la santé, l’école et la route là où elles n’existent pas, éliminant de fait les arguments des séparatistes. Mais au lieu de ça, qu’a obtenu le Mali ? Coups d’état, détournements massifs de l’argent public, salaires et primes de militaires détournés, avions cloués au sol, blindés en carton, ainsi qu’une armée toujours incapable de se déployer sur le territoire et d’en défendre l’intégrité. Depuis 2020, les militaires se sont accaparés de postes civils et administratifs ; et fait unique au monde, le Mali a eu droit à un coup d’état parce que des ministres militaires sans grande compétence ont été débarqués du gouvernement. Hélas ! Nous en sommes là ! L’armée qui tire la république vers le bas. Des officiers supérieurs qui ont juré la main sur le cœur de défendre la patrie, mais plus intéressés à s’enrichir ; des officiers généraux accusés par l’ONU de connivence avec des narcotrafiquants ; des officiers et sous-officiers accusés de meurtre par les organisations de défense de droits de l’homme. Une véritable mafia moins intéressée par les idéaux républicains. C’est ce que les 2548 milliards ont apporté au Mali.
Les Maliens méritent mieux. Ils sont en droit de demander un audit des montants engagés depuis 2013, un plan d’actions sur la sécurisation de l’ensemble du territoire, une clarification des effectifs militaires et les objectifs chiffrés à atteindre, et surtout, une feuille de route pour le redéploiement des FAMa partout au Mali et un calendrier précis pour le départ de toutes les troupes étrangères.
L’exigence citoyenne inclut la demande de comptes. Un dialogue franc et républicain doit s’installer ; il faut déterminer (et publier) ce que ces objectifs couteront et obtenir l’onction populaire. Le recours au secret défense ne doit pas masquer les lacunes et l’incompétence qui se traduisent par des morts – militaires et civils. Depuis janvier 2021, le nombre d’attaques armées contre les FAMa est en hausse – une moyenne de 18 par mois cette année contre 10 en 2020 et 2019. Ces attaques se font désormais non loin des villes jusqu’ici épargnées par le conflit ; Bamako et Sikasso, entre autres.
Écrire une réponse
Vous devez être connecté pour faire un commentaire.