Dernière mise à jour 24 septembre 2022 01:48
Une question de priorité.
L’importance de la mobilité des troupes, surtout en temps de conflit, n’est plus à prouver. Du matériel soviétique de transport, l’armée malienne adopte la Land Cruiser Pickup comme principal moyen de patrouille et de reconnaissance, surtout après les rebellions des années 1990 qui ont montré l’inadaptation du matériel lourd, comme le BRDM et le BTR, dans les zones désertiques et sablonneuses. Malgré leur blindage, la voracité en carburant de ces véhicules – 58 litres/100 km – la fréquences des pannes et le cout élevé des réparations, en ont très vite fait des reliques du passé.
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BRDM | BTR-60 |
Véhicules de Patrouille et Transport
La Toyota Land Cruiser, initialement un véhicule utilitaire, est vite devenue une arme de guerre au milieu des années 1980, lors du conflit qui oppose le Tchad à la Libye. L’avantage de ce véhicule est sa versatilité sur les pistes du Sahel et du Sahara, son endurance et son coût relativement bas. Il permet aux armées (mais aussi aux mouvements rebelles et terroristes) de déplacer très rapidement les conflits et élargir les zones d’opérations. Il sert au transport d’armes, munitions et autres besoins logistiques. Au Mali, la Land Cruiser continue de jouer un rôle déterminant dans le conflit qui dure depuis 2011.
En Avril 2013, une usine d’assemblage de véhicules Hyundai et Kia commence à produire des véhicules à Banankoro, tout près de Bamako. L’usine assemble, entre autres, une camionnette utilisée par l’armée Sud-Coréenne – le Kia KM450. L’armée malienne se dote de 44 de ces véhicules qui sont aussitôt déployés sur le terrain. Vu ses performances, l’armée décide d’en faire son principal véhicule de terrain. Deux modèles – le KM450 et le KM420 – assemblés au Mali devaient devenir les véhicules de transport et de patrouille des forces de sécurité, remplaçant la Toyota Land Cruiser pickup.
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Toyota Land Cruiser Pickup | Camionnette KIA KM450 |
L’armée, en optant pour la KM450, voulait non seulement se démarquer des mouvement rebelles, mais était également convaincue que le véhicule coréen était plus efficace. Se doter localement à Banankoro, avait l’avantage de créer des emplois au Mali, et aussi la possibilité d’adapter ou modifier le véhicule selon les besoins futurs de l’armée.
Embuscades et Engins Explosifs
Dès 2014, la MINUSMA fait l’objet d’attaques aux engins explosifs improvisés dans les régions de Kidal, Gao et Tombouctou. A partir de 2015, les engins explosifs font leur apparition au centre du pays, où elles visent principalement les forces de sécurité maliennes.
Le 12 Avril 2015, un convoi de l’armée saute sur un engin explosif sur la route Diabaly-Nampala, tuant 2 militaires et blessant 2 autres. Quatre mois plus tard, le 10 Août, un autre véhicule de l’armée saute sur un engin explosif près de Diafarabé, tuant 3 militaires. C’est le début d’une série noire pour les forces armées maliennes, principalement dans les régions de Mopti et Ségou. Les engins explosifs ne laissent aucune chance aux occupants des véhicules Land Cruiser.
La loi de programmation militaire (LOPM) qui devrait résoudre les problèmes d’équipement de l’armée avait été adoptée au mois de Février précédent ; 1230 milliards de FCFA pour la défense nationale dont (au moins) 316 milliards pour l’achat de matériel de guerre adapté aux nouveaux défis.
En Août 2018, trois ans après la mise en œuvre de la LOPM, le gouvernement malien passe deux contrats avec des entreprises basées aux Émirats Arabes Unis pour la fourniture de véhicules militaires, totalisant près de 8,2 milliards FCFA ; Vahana DMCC pour 3,42 milliards FCFA et Streit Group pour 4,75 milliards FCFA.
Ces contrats sont encore en attente d’exécution. Celui passé avec Vahana DMCC laisse un peu perplexe. Une avance de 50% a déjà été payée, et le contrat prévoit la livraison de 150 pickups Land Cruiser ; exactement le type de véhicule dont les forces de sécurité ont le moins besoin. Dans sa parution du 6 Septembre, Le Sphinx (No 749) dévoilait qu’en fait ce contrat n’était en réalité qu’une opération de surfacturation. Une armée meurtrie dans sa chair qu’on remet en selle dans des véhicules n’offrant aucune protection contre les engins explosifs. Tout simplement pour enrichir quelques-uns.
Entreprise | Montant | Équipements |
Vahana DMCC | 3 423 188 224 FCFA | Véhicules Land Cruiser |
Streit Group | 4 750 836 386 FCFA | Véhicules blindés Véhicules de transport de troupes |
Le 2eme contrat – celui passé avec Streit Group – est pour la fourniture de véhicules blindés. Streit produit des véhicules modifiés (marques Ford, Mercedes, Toyota, etc.) en incorporant du blindage aux parois latérales, toit, portes, compartiment moteur et réservoir de carburant. Ces véhicules devraient être similaires à ceux fournis par le Qatar en Décembre 2018. Doha avait livré (en don) au Mali 24 véhicules blindés StormLight APC (blindé léger transporteur de troupe) ; le Burkina Faso a également reçu de Doha 24 véhicules du même type ; dans le cadre de l’aide au G5 Sahel.
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Véhicule Blindé Storm Light APC Transport de troupes blindé léger |
Le blindage procuré par ces véhicules peut arrêter une balle tirée d’un fusil d’assaut comme le AK-47 ou même une grenade. En revanche, il n’offre qu’une protection minime contre les engins explosifs à forte puissance.
En Juillet 2019, l’Allemagne a offert au Mali 29 véhicules Casspir avec une coque en acier blindé et surélevé du sol. Le véhicule, fabriqué en Afrique du Sud, est certifié pour protéger ses occupants contre l’équivalent de 21 kilogrammes de TNT explosant sous une roue et l’équivalent de 14 kilogrammes de TNT sous la coque. Dans le sillage de ce don allemand, une nouvelle compagnie d’infanterie motorisée a été créée et sa formation à l’utilisation effective du véhicule devait prendre fin à la mi-août. Il sera nécessaire de pourvoir réparer tous ces véhicules au Mali et à cette fin, une floraison de types, marques et modèles doit être évitée.
Véhicule Blindé Casspir Transport de troupes blindé |
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A noter que ces pays donateurs préfèrent eux même acheter et livrer plutôt que laisser cette option à l’état malien ; certains véhicules pourraient disparaitre en cours de route.
Choix et priorités
2015 est véritablement l’année charnière de la crise au Mali. L’Accord d’Alger sera signé en Juin et, comme souligné plus haut, cette année marque aussi le début d’un conflit dans les régions du centre du Mali.
Dès 2014, la MINUSMA commence à se doter en véhicules blindés ; au-delà des blindés venant des pays donateurs de troupes, la MINUSMA – ayant des soldats de plusieurs armées sans grands moyens – se fait livrer au moins 700 véhicules blindés avant la fin de l’année 2015. La firme Indienne Tata Motors livre à elle seule 585 véhicules militaires. Ces véhicules vendus à la MINUSMA incluent aussi des engins logistiques (citernes, ambulances, camions frigorifiques, et véhicules de dépannage). L’américain Dyncorp International, quant à elle, livre 115 véhicules blindés – le Puma 36, fabriqué également en Afrique du Sud et similaire au Casspir.
Du côté des autorités maliennes, rien ne bouge. L’armée continue à utiliser les jeeps Land Cruiser et camionnettes Kia, ignorant les changements sécuritaires qui s’opèrent sur le terrain. A Bamako, le focus est plutôt sur l’organisation du Sommet France-Afrique qui doit se tenir en Janvier 2017. Le budget 2015 traduit d’ailleurs l’insouciance de Bamako, concernant la protection des troupes. Le budget de la présidence augmente de 5,3 milliards FCFA, passant à 14,6 milliards FCFA ; il y a par exemple 3,2 milliards de « dépenses sociales » qui s’ajoutent aux fonds de souveraineté du président; 8 milliards FCFA sont inscrits pour la construction d’un pavillon présidentiel à l’aéroport de Bamako-Sénou. Ce bâtiment n’est utilisé que lorsque le président voyage ou reçoit ; vu la situation du pays (et celle de son armée), il est incroyable encore à ce jour que cet ouvrage ait été réalisé. Il y a aussi 1,5 milliards prévu pour la maintenance du jet présidentiel. Tout cela passe devant le besoin ardent de sauver la vie des militaires. Au total, au moins 14,9 milliards FCFA de nouvelles dépenses voient le jour (voir tableau ci-dessous) – soit 3 fois le montant que le Mali paye aujourd’hui pour doter son armée en véhicules blindés.
Rubrique | Justification Officielle | Budget 2015 |
3-629-09 | Prise en charge de certaines dépenses sociales non prévues par les fonds spéciaux |
3 205 398 000 FCFA |
3-629-60 | Prise en charge de certaines dépenses de sécurité́ de l’état-major particulier du Président. |
1 219 787 000 FCFA |
3-629-79 | Provision destinée à la prise en charge de diverses dépenses |
1 031 048 000 FCFA |
5-234-35 | Provision au titre de la maintenance de l’avion présidentiel. |
1 500 000 000 FCFA |
5-234-34 | Provision pour la construction d’un pavillon présidentiel à l’Aéroport International de Bamako-Sénou |
8 000 000 000 FCFA |
Total | 14 956 233 000 FCFA |
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Pavillon Présidentiel à Sénou – 8 milliards FCFA |
Ce n’est certes pas l’argent qui manquait en 2015. Les priorités étaient simplement ailleurs. Les forces de sécurité continuent à payer le prix fort de ce choix politique. Rien qu’au mois d’Août 2019, les mines et embuscades que des véhicules blindés auraient pu prévenir s’élèvent à 12 morts et 15 blessés parmi les militaires.
Embuscades et Engins explosifs contre les forces de sécurité (Août 2019) | ||||
Date | Descriptif | Lieu | Morts | Blessés |
05 Aout | Mine | Route Dioungani-Dinangourou, cercle de Koro |
3 | 3 |
05 Aout | Embuscade | Cinzana, cercle de Ségou |
1 | 2 |
09 Aout | Mine | Konna, cercle de Koro |
0 | 3 |
14 Aout | Mine | Madougou, cercle de Koro |
0 | 0 |
21 Aout | Mine | Boni, cercle de Douentza |
5 | 0 |
27 Aout | Mine/Embuscade | Route Douentza-Hombori, cercle de Douentza |
3 | 7 |
Total | 12 | 15 |
Lors de sa visite aux Émirats Arabes Unis en mai dernier, le premier ministre Boubou Cissé aurait demandé une aide militaire accrue, notamment pour doter l’armée malienne de véhicules blindés. Mieux vaut tard que jamais.
Jeep Land Cruiser et Balise GPS
Le décret qui exonère Vahana DMCC d’impôts et de douane est co-signé par le ministre de la Sécurité́ et de la Protection civile, le général Salif Traoré ; n’ayant pas eu de confirmations, nous suspectons néanmoins que ces jeeps seront mises au service de la garde nationale (ou de la gendarmerie). Et il est assez probable que les véhicules seront affectés aux unités reconstituées.
Le décret mentionne également l’acquisition de balises GPS qui permettent le suivi de chaque véhicule. La récente histoire des réinsertions d’ex-rebelles dans l’armée a surement guidé ce choix.
Sans dévoiler plus d’information que nécessaire, nous pouvons dire que les balises qui seront livrées ne fonctionnent qu’avec le réseau GSM ; ces balises peuvent envoyer via SMS, GPRS ou 3G les coordonnées GPS du véhicule. Le problème est que la couverture du réseau GSM au Mali ne se limite qu’aux zones à forte densité d’habitants. La carte ci-dessous montre les zones couvertes par l’opérateur Orange. Au-delà de Tombouctou ou Gao, le réseau est simplement inexistant.
Un système hybride basé – à la fois – sur le réseau GSM et les satellites serait idéal pour les besoins du Mali. Il permet de localiser les véhicules en temps réel, basculant sur le réseau satellitaire dès que le réseau GSM devient indisponible.
Comme dévoilé par Le Sphinx (No 749), il y a jusqu’à 13 millions FCFA de surfacturation sur les véhicules – de quoi offrir un système performant et adapté. Mais il est clair que la logique des décideurs est ailleurs.
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