Dernière mise à jour 24 septembre 2022 01:54
Un essai critique sur les causes de la déroute de l’armée au Nord. Ce document résulte de l’examen de plusieurs articles de presse, et d’échanges et débats sur le réseau MaliLink.
Un peu d’histoire…
Conflit Tchad-Libye : En 1987, l’armée Tchadienne équipée simplement de Toyota Land Cruiser a défait une armée Libyenne suréquipée (blindés, avions de chasse, hélicoptères de combat, etc). Le célèbre commandant en chef de l’armée Tchadienne Hassan Djamous avait mis au point une stratégie d’attaques rapides qui enveloppent les positions libyennes en surgissant de points multiples, avant d’anéantir les Libyens déboussolés. De batailles en batailles (Fada, Bir Kora, Ouadi Doum, etc), il a fini par éjecter l’armée libyenne du Tchad. Mais Qaddafi est finalement allé aux négociations quand Djamous a attaqué la base aérienne de Maaten Al-Sarra en Libye à 100Km de la frontière Tchadienne. Cette base militaire servait de point de repli de l’armée libyenne et permettait d’attaquer les positions tchadiennes avec aisance. Avec 2000 hommes entassés dans des pickup, Djamous s’est faufilé jusqu’au Nord de Maaten pour redescendre sur la base — les officiers libyens avaient cru qu’il s’agissait de renforts venus de Tripoli. A l’issue des combats, 1713 soldats Libyens avaient perdu la vie et 300 ont été faits prisonniers. Les Tchadiens ont ensuite procédé à la démolition de la base; tout équipement qui ne pouvaient être emporté a été détruit sur place : 70 chars, 30 blindés servant au transport de troupes, 8 stations radar, 26 aéronefs dont 3 Mig-23, 1 Mi-24 et 4 Mirages; ils ont également détruit les deux pistes de la base aérienne.
Les exploits de l’armée Tchadienne à Maaten Al-Sara méritent d’être enseignés dans les écoles de guerre. Ils montrent comment une troupe mobile et motivée peut arriver à bout d’une armée moderne. Les rebelles maliens venus de Libye ont peut-être appris un peu d’histoire. Les assauts lancés contre l’armée malienne ont procédé similairement ; effet-surprise, attaques coordonnées et très grande mobilité. A cela, ils ont ajouté les techniques d’embuscades, et ont surtout perfectionné le renseignement sur les mouvements des troupes maliennes.
Les forces rebelles au Mali
D’après les interviews de chefs et lieutenants rebelles, la presse, les politiciens locaux et étrangers, les forces rebelles se chiffrent entre 1000 et 3000 hommes ; avec les défections, ralliements et recrutements peut-être que ce chiffre peut même être majoré jusqu’à 5000. Honnêtement, il est hasardeux de donner un chiffre précis ; mais ce qui est sûr c’est que les « Libyens » représentent la fraction la mieux armée. Les combattants sont décrits comme « aguerris » — certains ont fait partie de la légion islamique de Qaddafi qui s’est battue au Tchad et même au Liban.
De quel armement s’agit-il ? Les « Libyens » eux même parlent d’armes « lourdes », de grandes quantités de munitions et d’armement standard de troupe d’infanterie. Les armes lourdes sont des canons, canons multitubes et mortiers. Pas de missiles ou autres armes sophistiquées. Leur vraie force est leur mobilité ; ils disposent d’un nombre impressionnant de véhicules tout-terrain (surtout des Toyota Land Cruiser Pickup) – le nombre de ces véhicules venus de Libye varie entre 300 et 500, même si tous n’ont pas rejoint la rébellion. Ces véhicules tout-terrains sont capables de traverser une bonne partie du Sahara malien sans ravitaillement en carburant.
Armement mal ou peu adapté
L’armée Malienne depuis les accords d’Alger (NDLR, accord signé le 4 Juillet 2006) s’était plus ou moins retirée d’une grande partie du Nord ; il y avait certes des camps et garnisons militaires, mais une armée cantonnée est inefficace face à un ennemi mobile disposant d’armes lourdes. La dépendance sur les moyens blindés – ex., le BRDM et BTR-601 très voraces en carburant et difficile à évacuer en cas d’attaque (embusquée) – et l’artillerie a fini par ossifier l’armée.
Les moyens aériens qui devaient lui donner le dessus dans les moments difficiles n’ont pas été très bien pensés. Par exemple, les hélicoptères Mi24 – qui devraient aider à mater la rébellion – ont un rayon d’action très limité2; jusqu’à 225Km avec deux réservoirs auxiliaires et sans toute sa charge utile. Alors que la distance entre Gao (où des Mi24 était basés) et Arouane (par exemple) est de 475km par voie aérienne. Aguelhok est à 370Km. Même Kidal se trouve à 290Km. Cela met ces localités en dehors du champ d’action du Mi24. Même de Tessalit à Tinzawouatène, il faut compter 215Km – un Mi24 qui décolle de Tessalit pour Tinzawouatène ne pourrait rester longtemps dans les combats une fois arrivé sur place. Le ravitaillement en route n’était pas possible non plus ; simplement parce que l’armée ne contrôlait pas le terrain, en dehors de ses garnisons. D’autre part, leur positionnement ailleurs qu’à Gao posait automatiquement un problème de ravitaillement en carburant – le carburant devant passer par la route ; routes que l’armée ne contrôlait plus.
Le recrutement
Le Mali possède une armée de volontaires recrutés dans toutes les régions du pays. Les recrues font d’abord une formation – où ils apprennent le métier des armes – avant de rejoindre leurs unités d’affectation pour parachever leur apprentissage. Depuis les années 90, on a assisté à une réduction du temps de formation ainsi qu’au recrutement direct d’anciens rebelles sans formation. Et comme dans tous les recrutements faits par l’Etat, la corruption et le népotisme ont fait leur apparition ; la presse malienne dénonçait régulièrement la non-transparence des recrutements dans l’armée3. En 2007, l’Etat avait entrepris une politique de recrutement à outrance – 10.000 jeunes devaient être recrutés – et du même coup rajeunir les effectifs. Ce rythme accéléré a pesé sur la formation de base qui était déjà passé de 9 mois à 3 ! Il est clair qu’une armée bâtie sur le copinage, la corruption et le laisser-aller généralisé ne peut être ni républicaine, ni effective. Au prytanée militaire – bastion des futurs officiers – la situation n’était guère meilleure ; les enfants d’officiers supérieurs – ou ceux recommandés par eux – avaient la préférence du système.
Le recrutement des années 90 d’anciens rebelles dans les rangs avait été difficile au début ; puis jugé comme un succès en quelque sorte. Le Général Kalifa Keita – chef du PC opérationnel de Gao jusqu’en mars 2012 – disait dans sa thèse4 (1998, il était alors Lt-Colonel) à l’école de guerre de l’armée américaine que « dans un premier temps il y avait beaucoup de suspicion de part et d’autre. Les combattants Touaregs, n’ayant pas reçu de formation classique, manquaient de crédibilité aux yeux de leurs camarades. Certains avaient également des difficultés à s’adapter à la vie de l’armée régulière et ont préféré quitter le service. Mais au fil du temps, les choses se sont nettement améliorées. » Il est clair aujourd’hui, au vu des défections récurrentes et répétées, que l’armée a souffert d’un mal profond qui a miné son efficacité sur le terrain.
Impréparation des forces
Il va sans dire que la préparation des soldats aux techniques militaires est un atout considérable dans une guerre ; au Mali, l’instruction de base des soldats a été une affaire bâclée pendant très longtemps et au finish réduite au strict minimum. On peut même remonter à la guerre de 1985 contre le Burkina pour déceler ces problèmes5. Mais, plus récemment, la note donnée par les instructeurs de l’armée américaine (JCET de 20096) à une unité d’élite malienne était un 6 sur 10 – par comparaison une unité régulière de l’armée algérienne aurait reçu un 8 sur 10. Plusieurs défaillances avaient été soulignées alors : le manque régulier d’entrainement (ex., tir à la cible, tir d’artillerie, etc) et la spécialisation incohérente ; sur ce dernier point, les américains avaient noté des défaillances de taille. Dans une patrouille mobile peu de soldats (à part le chauffeur attitré) savaient conduire ; une seule personne savait utiliser la mitrailleuse lourde ; il est aisé de comprendre comment l’ennemi peut exploiter ces situations. Aussi, malgré qu’ayant perdu bon nombre de soldats (et officiers) dans les embuscades, l’armée n’avait pas encore intégré les simples techniques anti-embuscades.
A cela, il faut ajouter le manque de motivation des soldats maliens ; bien qu’ils recevaient un surplus sur leur solde étant déployés au nord, beaucoup voyaient une affectation dans les « sables » comme punition. Cette terre « étrangère » vaut-elle le prix de leur vie ? Etre dans une unité déployée au « sud » ne présente-t-il pas un avantage certain ? Beaucoup de questions qui ont certainement pesé sur les abandons de postes enregistrés entre Janvier et Mars 2012.
La préparation des officiers est un autre point important ; dans le passé, les officiers (et certains sous-officiers) recevaient tantôt une formation militaire du bloc soviétique, tantôt une formation dans les écoles françaises, et souvent les deux. Cela a été un problème lors du conflit de 1985 avec le Burkina7. Même la lecture des cartes posait un problème ; la nomenclature des signes conventionnels représentant les unités était différente suivant la formation reçue. Aujourd’hui, les officiers maliens vont partout – Sénégal, Maroc, Tunisie, France, USA, etc… – où une bourse d’étude peut-être obtenue. Cela n’est pas mauvais en soi, mais il faut un travail de recyclage en continu pour harmoniser les méthodes. Par ailleurs, le manque de familiarité avec le matériel qu’on utilise sur le terrain et celui sur lequel on reçoit une formation ne manque pas de poser problème.
Il a été même reporté que l’armée avait recruté des Ukrainiens comme pilotes de Mi24 – information démentie par l’armée, mais selon plusieurs sources, il y avait bien des mercenaires. Cela est une preuve supplémentaire que la formation des militaires n’obéissait pas nécessairement aux besoins de l’armée ; mais plutôt au besoin d’une formation à l’extérieur qui pouvait faire avancer une carrière.
Sur l’impréparation de l’armée, on peut finalement retenir le rapport de l’ambassadeur Milovanovic8 des Etats-Unis en Mars 2009 où il dit en substance « En dépit de notre importante et précieuse aide militaire, l’armée malienne reste sous-équipée, et fonctionne à un niveau inadéquat et très élémentaire. Le gouvernement du Mali est disposé à être un partenaire dans la lutte contre le terrorisme, mais il est clair que ce sera un effort de longue haleine. Le Mali n’a simplement pas les capacités. Récemment une base militaire a été attaquée par des rebelles Touaregs et 30 soldats ont été tués ; preuve que l’armée est incapable de se défendre elle-même. Et c’est toute cette réalité qui joue sur les calculs du président ATT et de la hiérarchie militaire pour s’engager vraiment [dans la lutte contre le terrorisme]. »
Problème de logistique
La logistique gagne ou perd la guerre. Au Nord, la logistique a cruellement fait défaut – ou n’a pas été suffisamment repensée dès les premiers accrochages. Le territoire est long de 1100 Km et large de 1100Km à ses points maximas – il y a presque 1500Km entre l’extrême nord-ouest et Anderamboukane à la frontière du Niger (en vol d’oiseau). Relier géographiquement ces points par la route est non seulement une tache ardue, mais quasiment impossible dans un délai d’urgence. Pour la petite histoire, le système des autoroutes aux USA a été mis en place dans les années 50 pour mieux défendre le pays, parce que l’armée mettait facilement 1 mois pour rallier les zones éloignées avec son matériel lourd. Au nord Mali, la localisation des garnisons militaires devait répondre au souci de ravitaillement de l’armée ; pas autre chose. Le ravitaillement mobile aurait du être une tactique – même s’il devait se faire avec des moyens banalisés sans les insignes de l’AMA.
Déjà en 2007, l’armée a du être ravitaillée par les forces américaines (par largage de vivres et munitions) quand ses soldats se sont retrouvés encerclés à Tinzaouatène par la rebellion dirigée par Ag Bahanga9. En toute évidence cela n’a pas servit de leçon. En 2012, le même scénario se répéta encore. A Aguelhok, les soldats auraient tiré leurs dernières cartouches avant d’être capturés, puis exécutés – certains avec une balle en pleine tête, d’autres égorgés ou étripés. En Février 2012, au vu de l’incapacité de l’armée à ravitailler ses troupes, les USA ont même mené un exercice d’apprentissage de ravitaillement et de largage d’équipement10. Malgré cela, les forces américaine ont du encore intervenir pour ravitailler Tessalit ; au moins deux fois. L’armée malienne aurait essayé avec ses propres moyens – vraisemblablement des vieux Basler, une dérivée du DC-3 – sans grand succès ; certains largages auraient même été faits chez l’ennemi. Les tentatives de ravitaillement par la route ont également échoué – les rebelles posant embuscades sur embuscades11.
L’absence d’une logistique qui assure la fourniture récurrente et régulière de vivres, carburant, munitions, et tout ce qu’il faut pour soutenir des soldats en guerre est une des principales causes de la déroute de l’armée.
Absence de technologie de base
La technologie moderne est très peu utilisée ou enseignée. Dans une zone sans routes, il est difficile de comprendre que tous les soldats servant au nord n’aient pas un appareil GPS comme matériel de base, au même titre que le fusil d’assaut. Dans cette même catégorie, il faut aussi noter l’absence de drones de surveillance (et même de combat). Ces avions, pilotés à distance, sont capables de se maintenir en vol pendant longtemps et couvrir de vastes territoires. Ils peuvent également servir non seulement au renseignement (ou au combat) mais détecter les embuscades avant qu’elles ne se produisent. Les images satellites – que d’autres pays peuvent nous fournir – sont très peu utiles quand il s’agit de troupes mobiles ou en constant mouvement. Nous reviendrons sur ce point dans la deuxième partie de ce document.
Finalement, le dernier ingrédient de la défaite est le manque de discipline au sein de l’armée malienne – cela a été le mis à nu par le coup d’état militaire de mars 2012. Le coup ne fut qu’un déclic. L’indifférence (on pourrait dire mépris) de l’administrateur vis-à-vis de l’administré sévit également au sein de l’armée. Le respect dû aux hommes de troupe par les officiers supérieurs était quasi-inexistant – d’ailleurs même le rapport du JCET (2009) en fait état. Dès l’annonce du coup d’état, les jeunes officiers, sous-officiers et hommes de troupe ont procédé d’abord à l’arrestation des officiers supérieurs. En pleine guerre.
D’un article de presse datant de 200912 , on peut retenir le témoignage d’un enseignant qui disait que « La majorité de ces jeunes qui échouent dans l’Armée se sont fait vidés de l’école pour indiscipline, alors les parents les obligent à y faire carrière sans même avoir [sic] le goût de porter la tenue. En âme et conscience, cette catégorie n’est pas apte à être incorporé dans ce domaine où le patriotisme et la discipline ne doivent pas faire défaut. ». On a par mégarde – ou sciemment – compromis la discipline au sein des rangs en y acceptant toute sorte d’individus. En tout cas, cet enseignant avait vu juste. Les abandons de postes entre Janvier et Mars 2012 nous le prouvent amplement.
Au finish…
Les rebelles ont défait l’armée du Mali d’abord en la harcelant. Puis avec leurs effectifs grandissants, ils ont étranglé les garnisons et les villes. Le choix des garnisons à attaquer n’était pas dû au hasard ; il fallait attaquer là où l’armée était incapable de renforcer ou de contre-attaquer aisément. Les grandes distances ont toujours fait partie de l’équation subtile de l’état-major rebelle. Renforcer ces garnisons voulait dire (a) passer par la route et subir de nouvelles embuscades, (b) négocier un retrait des troupes, ou (c) combattre jusqu’au dernier. Les massacres d’Aguelhok ont eu lieu non pas pour consolider une victoire ou par vengeance, mais pour démontrer au soldat Malien qu’il n’avait rien à attendre de sa hiérarchie et ou du pouvoir politique. L’effet psychologique a été immense et a contribué énormément à ôter l’envie de se battre à une armée aux abois.
Notes
1 Voir http://www.inetres.com/gp/military/cv/inf/BTR-60.html |
2 Voir http://www.aviamarket.org/reviews/helicopters/93-mil-mi- 24.html et http://www.aerospaceweb.org/aircraft/helicopter- m/mi24/ |
3 S. Coulibaly, « Recrutement dans l’armée : la colère des épouses des militaires« , Le Républicain, 20 Novembre 2007 Sidibe Ramatou B. Cisse, « Recrutement dans l’armée : Les jeunes dénoncent la magouille« , Mali Demain du 3 Décembre 2009 Boubacar Paitao, « Mode de recrutement dans l’armée : les fils d’officiers peuvent-ils mourir pour la patrie ?« , L’Indépendant du 28 février 2012 |
4 Lt-Colonel Kalifa Keita, Army of the Rep. of Mali, « Conflict And Conflict Resolution In The Sahel: The Tuareg Insurgency In Mali, » May 1998, Strategic Studies Institute, U.S. Army War College |
5 Amidou Mariko, « Memoires d’Un Crocodile« , Editions Donniya, Mali, 2001 |
6 Voir le rapport publié par Wikileaks – http://dazzlepod.com/cable/09BAMAKO815/ |
7 Voir [4] |
8 Voir le rapport publié par Wikileaks – http://dazzlepod.com/cable/09BAMAKO167/ |
9 Les Américains en appui de l’armée malienne, Radio France Internationale, 13 Septembre 2007 |
10 D. Coulibaly, “Atlas Accord 2012 : Un Exercice Militaire Particulièrement d’Actualité”, Essor, 22 Février 2012 |
11 Adam Thiam, “Pourquoi Tessalit est tombé”, Le Republicain, 13 Mars 2012 |
12 Voir l’article de Sidibe Ramatou cité plus haut |
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